De différentes définitions et de l’étymologie de l’autonomie, je retiens la formule suivante: l’autonomie est la capacité d’action de qui se fixe ses propres règles d’action.
La capacité d’action se fonde sur des ressources, matérielles ou humaines, choisies par la personne dans son environnement.
Les règles d’action sont librement autodéterminées. Ces règles donnent des libertés, mais peuvent aussi poser des limites, être des contraintes, constituer de l’autodiscipline. De nature généralement non-spontanée, elles sont le plus souvent «héritées» de l’éducation et de la vie sociale, elles ont été choisies et faites siennes. Et ainsi, si les autonomies sont toutes différentes, elles n’entrent généralement pas en contradiction avec la loi commune environnante.
L’autonomie semble être une dynamique de soi et des ressources choisies par soi. Un tel système est décrit dans un article [1], où soi est en dépendance (je dirais relation) avec des ressources utiles, mais également en lutte avec des menaces à l’autonomie. On trouve également dans l’environnement des ressources inutilisées. Divers phénomènes peuvent menacer l’autonomie, et certains peuvent l’empêcher, la diminuer, ce sont la maladie, l’accident, le handicap, l’addiction, la précarité, les violences et les contraintes. Ce peut être aussi l’absence de certaines ressources. Ce peuvent être le désespoir, la dépression, le manque de motivation, qui interdisent même l’accès à son autonomie. La solitude, si elle n’est pas choisie comme un moment positif, avec alternance de temps de lien social, empêche l’exercice de l’autonomie, la solitude sera mal vécue. Avec un sentiment d’isolement et de vide, qui peut démotiver la personne.
L’autonomie, est-ce être responsable? L’autonomie est un pouvoir d’agir par soi-même qui veut satisfaire des désirs factuels, affectifs, ou intellectuels. L’exercice de l’autonomie pose au monde des actes, sensés intégrer la personne, et la responsabilité est celle d’assumer les conséquences de ces actes-là. L’autonomie et la responsabilité, si elles peuvent être complémentaires, sont cependant distinctes.
Etre autonome, est-ce tout faire, tout juste? Je pense que non, ce n’est pas l’universel et la perfection. On est soi, avec ses forces, ses apprentissages, ses affinités, avec sa raison. L’autonomie ne fait pas tout, et même si elle participe au mieux-être dans le rétablissement, même si elle améliore grandement l’estime de soi, elle n’est que ce pouvoir d’agir par soi-même qui attend les lieux de son expression, les projets où ce sont les actes, les réalisations, les constructions, qui participeront de ce à quoi chacun aspire, c’est-à-dire le bonheur.
Enfin, l’hétéronomie, le fait de puiser hors de soi les principes de son action, me fait penser que c’est autrui qui est autonome, alors pourquoi pas moi, et pourquoi ne pas voir ces principes comme acquis par soi, en toute autonomie. A mon sens, l’hétéronomie est un ensemble d’autonomies, et elles vont coexister pour des actions communes, non dans des dépendances, mais dans des relations et des négociations autour des actions de chacun.
Malgré les atteintes, une part d’autonomie demeure, et la personne va chercher à combler ce qui manque, à retrouver une dynamique de soi satisfaisante.
Je suis malade psychique, je souffre de trouble bipolaire depuis 1988. Dans mon parcours, il y a beaucoup d’efforts pour mon autonomie, il y a beaucoup de découragement aussi, à l’image des deux tentatives de suicide que j’ai faites, et où lors de la deuxième j’ai été grièvement brûlé quand le gaz qui devait m’asphyxier a explosé.
Mon handicap psychique a diminué mon autonomie, mon accident a diminué mon autonomie.
Mais je vais reprendre des éléments de mon histoire: Jusqu’à mes 24 ans mon autonomie s’était bien développée. Petit, j’avais bien appris à marcher, à parler. Je retiens précieusement ce souvenir où j’apprends à lacer mes chaussures…. Petit, il y a encore tout ce qui est de l’hygiène, de l’habillement, de l’alimentation, des débuts du comportement social, qui s’apprend. Plus tard, cela se poursuit, le comportement social s’affirme, le développement intellectuel se confirme. Puis, l’adolescent qui gère son administration et tous les aspects de lui-même, est considéré comme un adulte autonome et responsable.
A 24 ans, la maladie psychique, le trouble bipolaire, vient bouleverser ma vie, me désorienter. Tout est remis en question, toutes les raisons, tous les processus appris. C’est l’autonomie qui est mise en cause.
Qu’en reste-t-il d’abord.
Même si on y revient avec un sentiment d’inutilité, ce sont les processus de base qui se maintiennent, manger, s’habiller, se laver, s’administrer. Mais j’ai aussi vécu cela comme des corvées, déprimantes.
Je me suis senti étranger à moi-même, je le suis devenu aux amours et aux amitiés, au travail et aux études, à ma raison et à ma réflexion. Je perdais mes emplois, je perdais l’usage de l’écriture, je perdais mes amours.
A 27 ans, suite à ma deuxième tentative de suicide, j’ai passé trois semaines dans le coma, grièvement brûlé, et je suis resté 3 mois ½ au centre des grands brûlés du CHUV à Lausanne. Mon autonomie était là à presque rien, tout devait être fait pour moi. J’ai dû réapprendre à manger, un physiothérapeute m’a réappris avec force à marcher, une de mes cordes vocales ayant été abîmée lors de mon sauvetage, les soins d’une orthophoniste m’ont permis de reparler.
Toute une autonomie primaire qu’il a fallu regagner, et avec quelles ressources!
Un curateur a aussi été nommé pour gérer mes affaires. Jusqu’à mes 35 ans, le trouble bipolaire a continué de me chahuter, mais j’ai quand même pu faire une réadaptation professionnelle avec l’AI (j’étais comédien) de laborant en biologie, et j’ai ensuite travaillé une année. J’ai appris à écrire de la main gauche.
Ensuite, c’est le statut de rentier AI, avec comme activité bénévole l’animation de l’association L’Expérience, que j’ai co-fondée en 1999 à Genève.
Je remarque que mes activités professionnelles ou bénévoles, de comédien, de laborant en biologie, ou avec L’Expérience, forment aussi une part de mon autonomie.
Pour vivre mieux avec le trouble psychique, j’ai eu plusieurs formes de ressources, certaines venant de moi-même et d’autres extérieures. La psychothérapie a été pour moi la ressource la plus importante, j’ai pu essayer d’y comprendre mon histoire et ce qui m’arrivait, sans toujours comprendre comment se passait la communication entre le thérapeute et moi. L’acceptation de ma maladie a pu s’intégrer petit à petit à mon autonomie en contrainte choisie. Pour accompagner ma psychothérapie, je me réservais des heures pour de la remémoration. Je choisissais des périodes de ma vie, que je passais en revue de mémoire, pour y distinguer peut-être des motifs de difficultés. A côté de ce travail plutôt solitaire, j’ai pu avoir des activités avec d’autres gens dans des lieux d’intégration sociale. Je regagnais déjà en autonomie et en mieux-être.
Mon diagnostic et les symptômes de mon trouble bipolaire m’ont permis de développer des ressources contre la maladie. La tentative est celle de domestiquer, d’apprivoiser un état de crise qui s’exprime par le délire, l’accélération des pensées, le sentiment de toute-puissance, dans un plaisir incertain. Là, on peut être averti, mais apprivoiser est difficile. Pour les signes précurseurs, par-contre, on peut, à leur apparition, mettre en place des stratégies pour les calmer.
La logorrhée est un signe, j’ai appris à ne pas trop parler, et à garder une cohérence de parole. Le sommeil, signe par excellence dans son absence, doit être gérer avec attention, il faut pouvoir adapter le repos à des rythmes veille-sommeil qui peuvent être décalés. L’hyperacuité est signe qu’il y a trop de stimulations sensorielles, et qu’il vaut mieux diminuer les stimuli, par hypostimulation. Cela consiste à trouver un espace où la lumière peut être diminuée, où les sources sonores sont faibles, pas de musique, pas de lecture, pas d’écriture, un minimum de stimulation, puis petit à petit on voit ce qu’on peut ajouter de stimulation. Il faut adapter la durée à ses besoins. La crainte des achats inconsidérés m’a très tôt rendu attentif à surveiller de près mon budget et mes dépenses. En plus de l’expression de ces symptômes, il peut y avoir une lutte contre le manque d’appétit, l’irritabilité, l’euphorie, l’élation amoureuse, contre une magie inopérante.
Et sur ce chemin, des médicaments peuvent aussi être des aides.
Après la grande désolation et le vide de sens dûs aux premières décompensations, c’est déjà sur les actes du quotidien que j’ai voulu reprendre un contrôle. L’acte du quotidien est comme un petit projet que l’on réalise et qui amène une satisfaction. Mon exemple favori, c’est la vaisselle, elle est sale, je la lave et elle devient propre, c’est utile et je suis content de l’avoir fait. Le processus se répète, et on peut aussi alors penser à un autre projet plus grand, faire le ménage par exemple. Se réapproprier petit à petit tous les actes du quotidien. Et puis peuvent venir d’autres projets, ailleurs, autrement.
Je pense que la motivation est la force de l’autonomie. Une motivation réduite, dans un projet réduit choisi par la personne, va permettre l’exercice d’un peu d’autonomie; une motivation plus grande, dans un projet plus grand, permettra l’exercice de plus d’autonomie. Le projet, autodéterminé, devrait ainsi être adapté à la personne et à sa motivation (mais n’est-ce pas la personne qui détermine sa motivation?).
Les réseaux de la personne, la famille, les amis, les associations, le réseau médico-social (assistant social, psychiatre, etc.) sont des ressources importantes pour l’exercice de son autonomie.
Mais, surtout au début de la maladie, il se peut souvent qu’elle et le malade soient par trop étranges pour la famille et les amis, qu’un éloignement se fait, mettant la personne dans l’isolement et face à un sentiment négatif de solitude. Plus tard, des liens peuvent être renoués, ou de nouveaux liens être créés, et cela redonne toute son importance aux cercles de la famille et des amis. Dans l’intervalle, ce qui constitue l’environnement de la personne est d’abord le réseau médico-social, qui a obligation professionnelle de soins, puis peut venir le réseau des associations, après un délai pour être informé de leur existence, et où trouver lien social et activité.
A Genève, il existe des associations autogérées de personnes concernées par un trouble psychique, où l’autonomie est exercée et développée dans l’entraide, dans la réalisation de projets, dans la défense des droits des patients. Non seulement chacun des membres fait preuve de son autonomie, mais dans la composition qui en résulte l’association elle-même est autonome, en lien avec son réseau d’associations et d’institutions en santé mentale, et avec toutes ses autres ressources.
Enfin, en santé psychique, pour combler des diminutions d’autonomie, plusieurs types de personnes peuvent intervenir comme ressource. Il y a les pairs-praticiens, qui par expérience du vécu du trouble psychique et leur rétablissement, vont pouvoir partager leurs connaissances de l’autonomie. Il y a les professionnels médico-sociaux, qui par leur formation et leur pratique connaissent bien le sujet. Les parents sont des ressources au titre de l’éducation donnée à l’enfant devenu malade, pour lui retransmettre des processus d’autonomie. Conjoints et enfants peuvent aussi être ressource. Et les pairs concernés par un trouble psychique, dans les associations d’entraide, participent à la transmission d’autonomie.
Allaman Jean-Marc
DOI: https://doi.org/10.4414/sanp.2021.03221
Publication Date: 29.07.2021
Swiss Arch Neurol Psychiatr Psychother. 2021;172:w03221