Interdiction de dériver

La prévention ne peut s’inscrire que dans un contexte idéologique, sociologique et politique, donné.

Aucun système ne saurait prévenir la chute de quelques sacrifiés. Ni l’utopie libérale, ni le maoïsme sournois, ni le capitalisme usurpateur, ni quelque règne culturel. Des identités en opposition, issues de l’interdit mimétique, un produit maison en somme. Pas d’autre choix que le choix de tous. Pas d’histoire individuelle. Le service social. Prévenir est-il d’ouvrir le choix, comme la non-violence, au-delà de la résistance passive, ouvre la frontière de la tolérance, travaille toujours cette limite.

Prévenir ne peut être que les moyens de la prévention, tout connaître. Je ne peux pas, je m’étonne encore. Obligation sans choix. Dictat, sans autre. Ma dignité, ma fierté comme je l’appelle, en reste bien éloignée. Dans l’irréductible expérience de chacun, il est important et nécessaire d’être là et de travailler ensemble des outils du réel pour ramener celui qui dérive au-delà de sa propre raison. La prévention se pose ainsi un peu en leurre social, pour ne rien changer au fait psychiatrique. Honteux. Changeons déjà une science mal servie, où règne encore trop d’abus.

Une maille psycho-socio-géo-politique de mon expérience de vie qui serait revisitée (je rends hommage à l’habile intellectuel statisticien, sauf qu’il ne peut s’agir, selon moi, que d’une autoanalyse) rendrait de précieux renseignements à réagencer en une pleine conscience qui me corresponde et m’agisse en comportements adéquats. J’ai écrit noir sur blanc cette période clé de 1983 à 1991, où gisent deux tentatives de suicide en 90 et 91.

(…) Sur fond de traumatisme (par un événement) fragilisant, mon lot a été lourd, origine de la longue crise de mon psychisme. Pour ne pas raconter le silence lourd de ma propre histoire, je dirai la prévention qu’il en aurait fallu. D’abord une prévention par des cours de psychologie à l’école destinés à prévenir, à permettre de mieux gérer les éventuels traumatismes, notamment ceux consécutifs à des suicides. Prévention ensuite dans une meilleure prise en charge de ceux qui sont touchés par un traumatisme, par exemple par un suicide. Il y a à Genève une centaine de suicides par année, d’où chaque année une centaine de « groupes » à encadrer, la santé devrait pouvoir s’en occuper. Le suicide a un sens, la collectivité ne peut l’ignorer. Un fusible social qui claque, auquel correspond une dimension sociogéographique à déterminer, et où la santé devrait assumer sa responsabilité. Ceci afin d’éviter la confusion, de ne pas laisser de terrain à la maladie psychique (fragilité…). Prévention enfin par interdiction de direction et d’enseignement dans les écoles de personnes susceptibles de viol de conscience ou de viol sexuel… qui peuvent conduire à la maladie psychique ou à d’autres déviances.

Prévenir, comment faire pour ne pas vivre la crise ? Peut-on ? Consolider le psychisme par un travail psycho-social en un temps et en un lieu avant d’aller à l’asile (et ainsi savoir qu’on pourrait l’affronter ?) ?

La générosité, intellectuelle notamment, jouera sans doute aussi un rôle clé dans la

découverte des moyens de sa santé mentale.
Pour autant aussi qu’idéologie et pouvoir cessent d’être séparés au profit d’ambitions personnelles humainement inacceptables.
Mais on comprend aussi qu’une société en crise génère des individualismes sans égards pour autrui, comme on comprend qu’une société en croissance génère de la place et de l’altruisme pour presque chacun de ses membres.

Comprenez aussi, si je parle de pouvoir de la communauté, que je ne parle pas de communisme, dont la faillite est plus que visible de nos jours, tout du moins dans sa forme structurelle… Schéma du pouvoir communiste, où conscience et connaissance par l’élite du réseau communautaire, des rôles, et des pôles de leader et de victime, formant une sorte de «sociologie», assurent à cette élite une position et une stabilité encore plus incontestable que dans un système qu’il veut combattre, mais dont il garde l’héritage, maintenant le plus possible son prolétariat dans l’ignorance de tout cela, au travers notamment de la propagande.

Je vous ai écrit tout cela, quelles réponses maintenant puis-je en attendre ? Au-delà même de l’absence ?

P.S. Un sujet peut-être pour une prochaine réunion :
Si « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », alors « Psychiatrie sans psychologie n’est aussi que ruine de l’âme (Psyché) ».

P.S. bis : On peut inventer une prévention, on inventera ensuite sa perversion…

P.S. ter : Un apport concret qui pourrait être fait dans le no man’s land proposé aux patients en sortie de l’asile, serait d’éditer à leur intention un catalogue des ressources en rapport avec leurs besoins, et qui leur permette de commencer à s’y retrouver…

Jean-Marc Allaman / 16.01.02