Lettre ouverte à la PSQ

Franchement, oui, je suis contre. Contre l’autosatisfaction béate du système psychiatrique au mépris du patient et de sa communauté.
Naturellement le régime despotique de la psychiatrie s’oppose à l’idée même de la communauté pour laquelle elle est sensée travailler. Une communauté citoyenne avec son pouvoir, ses droits, son autonomie, ses possibilités d’activités et de formation. Mais quelle forme sociale lui donner?Abus de pouvoir, on déplace le sens des mots : l’hyperstimulation que constitue l’enfermement, le traitement forcé et le mépris du consentement éclairé, glisse au doux nom d’hypostimulation. On veut avoir la paix…
Comment une ville de l’importance de Genève peut-elle se permettre plus d’une centaine de suicides par années (comme autant de fusibles sociaux qui claquent), sans même se poser les bonnes questions de ce qui entraîne ce phénomène ?
Quel respect a-t-on de la parole de ceux qui partent au suicide ? Je rêve aussi d’une psychiatrie qui réponde à mes besoins, même si je suis en bonne santé et que l’asile n’est qu’un risque. Ose-t-on parler de communauté psychiatrique ?
D’un côté une communauté médicale très organisée, de l’autre une communauté désorganisée de soignés. Question : qui tire ainsi profit du système d’ensemble ? Le soigné psychiatrique est une victime sociale, preuve en est son défaut de droit en psychiatrie… Pour la communauté citoyenne à l’asile !
Tentons sur des fondements démocratiques, d’organiser la communauté des patients, à l’asile déjà (un rêve que peu d’entre nous s’autorise), dans les associations d’aide ou d’entraide, et même dans des entreprises. Tout l’environnement social de cette communauté devrait être retravaillé… Suis-je l’étranger, votre victime. Le sens-je, moi victime autonome. Me le faites-vous sentir, à moi victime hétéronome. La tiers-victimisation est-elle un phénomène social indispensable ? Une minorité, victime idéale, pourra-t-elle inventer ce modèle communautaire où l’on ne reproduit pas le modèle « dominant » et où la victime n’existe pas ?
La communauté, le collectif, a déjà pris de nombreuses formes dans nos sociétés : elle est affective, sociale, intellectuelle, d’habitation, de formation, etc.
La communauté véhicule tous les phénomènes psychiques : autant d’affects, d’intellects, d’actes et de gestes issus d’une volonté.
Il semble malheureusement que nous ayons toujours besoin d’un plus petit que soi.
La fédération MottattoM qui accueille l’association L’Expérience, l’écoute-t-elle, fait-elle du social en la gardant comme parent pauvre à charge, et peut-elle ainsi revendiquer plus desoutien auprès des autorités ? La minorité s’appuie-t-elle sur une minorité… Une victime ? Le réflexe est de désigner une victime, sous-tendu par la croyance en un pouvoir, ne serait-ce que celui de ne jamais être ou devenir victime soi-même. Là déjà se justifie la lutte de pouvoir dans un schéma tripartite indiquant un rapport de pouvoir. Et les culpabilités refoulées circulent jusqu’en des impasses d’où elles ne sortent plus, jusqu’en des vasques, pauvres fous… La leçon est que son innocence s’achète au prix de la culpabilité de l’autre…
Un modèle communautaire de la différence devrait pouvoir désamorcer cette fatale bombe à retardement…
Le conseil d’un ami : Je me placerai toujours du côté du plus faible… Je reconnais que je n’ai pas su reconnaître. Pas su reconnaître mes ennemis.
Et se reconnaître en victime, de manière autonome ou hétéronome, conjugué avec le devoir de perfection qui en découle, constituerait-il l’idéal humain ?
Moins on a de moyens de se parfaire, plus le devoir de perfection est grand… La reconnaissance pourrait-elle travailler contre la tiers-victimisation, contre l’exclusion ?
Si je me reconnais des ennemis, je me victimise, et ce n’est pas supportable.
Si mes ennemis me désignent (me reconnaissent !) en victime, je suis victimisé.
La place est la même, sauf la responsabilité. Mais quelle vie ? Victime et conscient de l’être ? Si je ne me reconnais pas d’ennemis, une forme de non-violence, une vie tranquille peut-être ; une pensée à suivre… Je ne suis pas (ou plus) victime. Mais n’ayant pas su reconnaître mes ennemis (et ma victimisation), j’ai été (comme on est) victimisé sans le savoir.
Y a-t-il un autre choix qu’être victime ou dominer, un autre choix que victime ou bourreau (le suicide réunissant les deux…) ?
Pour déjouer un système qui de toute façon la sacrifiera, la victime consciente du schéma de tiers-victimisation préfèrera se sacrifier elle-même (suicide) et mettre ainsi le système en échec. Quelle autre réponse que le suicide la victime pourrait-elle proposer ?
Employer le paradoxe de reproduire le schéma de tiers-victimisation, soit que la victime désigne une nouvelle victime ?
On repousse la place de la victime sur une autre victime et on obtient une chaîne sociale victimante. Et une minorité trouve ainsi sa minorité, qui trouve sa minorité, jusqu’à l’individu qui trouvera en lui sa propre victime, et sera conduit au suicide…
Ou alors concevoir le schéma de tiers-victimisation comme une place de victime tournante dans le temps, entre moi, toi et lui ?
Comment une victime pourrait-elle sortir (de soi-même ou grâce à autrui) de son rôle de victime?
La question devient celle de savoir s’il est possible de profiter du rôle de la victime (de la cloche, du fou), là où la réponse, derrière une distance et un sourire, aide à vivre.
Et sortir du schéma de la tiers-victimisation serait-ce une utopie, un rêve de monde idéal, une impossibilité ?
La non-violence saurait-elle déjà jeter des éléments de base de cette perspective ? Echapper à la barbarie du tous contre tous par le tous contre un est un truc de l’histoire. La politique du un contre tous devrait aussi alors être envisagée… Et l’on finira même aussi par se passer de tous les intermédiaires, vers le rapport direct du un contre un ou mieux du un avec un. Vers l’utopie du tous avec tous… Aussi, dans le schéma tripartite de la tiers-victimisation ne reconnaît-on, en fin de compte, que deux parties, le bourreau (multiple) et la victime (unique). Deux termes qu’à l’ère de la communication nous réduirons à celui de partenaire. Des partenaires. En collaboration et sans victime expiatoire. L’hétéronomie n’est rien si tout au bout il n’y a pas d’autonomie.
Elle est tout au plus l’expression d’une relativité.
Et l’autonomie est un absolu.
Mais les lois que se donne l’individu sont certainement un mélange d’autonomie et d’hétéronomie. Le lien social a lieu au travers d’un langage commun dans lequel il est intéressant de voir comme la reconnaissance, phénomène bien abordé par nous jusqu’à présent, fonctionne en tant que porte sentimentale. Elle ouvre en effet dans l’espace interpersonnel la dimension individuelle des lois individuelles, les sentiments. Le psychisme serait alors là garant de l’économie de la dizaine de sentiments existants, et la psychiatrie serait sensée servir là de tuteur à toute gestion sentimentale défaillante (!). On aurait pu aussi emprunter une autre porte, un autre sentiment. Par la confiance par exemple, pour accéder à ce qui justifie l’existence de la norme (elle donne confiance, on prend confiance si on répond à la règle, on gagne un sentiment de sécurité, de sûreté) et pour accéder à ce qui traduit l’effet de l’écart que l’on peut prendre de la norme, ce que sont la révolte, la passion, etc. L’activité sentimentale se traduit par des comportements, par une adéquation à la réalité, et règle ainsi la corrélation des lois individuelles, qu’elles soient autogènes ou hétérogènes. L’intelligence n’est peut-être pas de savoir reconnaître, ni même de savoir connaître, mais peut-être de savoir tout court.
Deux aspects de l’intelligence sont la cohérence et l’expérience. La reconnaissance, elle, ne peut (ne doit) être que celle de l’œuvre de l’être, elle ne peut être celle de l’être lui-même, pris tel un pion dans les jeux de pouvoir, intellectuels ou autres. Œuvre regardée comme production, dans une optique marxiste ou dans l’optique économique moderne. L’œuvre, comme produit de l’activité, fondera la reconnaissance du public de l’association L’Expérience par exemple. Mais cette reconnaissance ne fonde pas l’association, dont les enjeux sont certainement plus simples et plus vitaux.
Pour dire encore mes moyens d’exprimer le projet que j’ai créé, sachez que le texte fondateur de l’association L’Expérience tient autant de la psychologie, de la sociologie, de la philosophie, du travail social, que de la dissertation et de l’exposé…

Et pour ce qui est de sa philosophie au quotidien, L’Expérience a aujourd’hui urgemment besoin d’un lieu et d’argent, et à défaut elle sera suspendue jusqu’à l’obtention des moyens de son existence.

Jean-Marc Allaman / 05.12.01