Préambule
D’abord trois mots pour rire
- «Mens sana in corpore sano » signifie-t-il que le corps soit un corps social ?
- À quand de l’obstétrique sociale ?
- en dire long sur un système de démocratie où le bon bourgeois donnerait mandat à la psychiatrie (puisque que c’est la psychiatrie qui est au service de la société, et non l’inverse…) de contrôler en sa dictature toutes les minorités et tous les artistes, non dérangés, mais dérangeants, a/sociaux.
Pour revenir sur nos pas…
Même si ici la santé n’est qu’une métaphore médicale permettant de conforter le sentiment de justesse de l’identité de l’individu, il semble que la notion de santé sociale, en première approximation, puisse représenter l’idéal humain du bonheur, du bien-être, ou tout au moins l’image de la qualité de la vie. Qui la définit restera une question en suspens. Sa dynamique agirait du bien-être de l’individu vers celui de la société. Les moyens de son établissement en sont la justice, la psychiatrie (non la médecine, car il s’agirait de santé tout court), le travail social, la vie associative, la culture, et j’en oublie certainement.
La santé, c’est entendre la problématique et lui adjoindre les moyens de sa résolution.
La santé sociale, en incluant tous les phénomènes sociaux où existe une inadéquation à l’idéal social, au bien-être et à la bonne qualité de vie, contient la santé mentale (du latin, ou psychique, du grec).
Cette dernière possède les mêmes moyens que la santé sociale pour répondre à son idéal : la justice, la psychiatrie, la vie associative, la culture, et autres.
Répondant à un élargissement de son champ d’action vers la prise en charge de cas sociaux (un bien ? une nouvelle dimension sociale ?), la psychiatrie devient la psychiatrie sociale. Sans vouloir mettre en cause la bonne foi de la psychiatrie et l’extension de son pouvoir, il convient de bien considérer quelles zones échappent encore à son contrôle. Ainsi déjà des minorités sociales et des artistes. Pareillement des associations de patients ou pour les patients. Les combats y sont toujours vivaces.
Et encore à considérer le statut du patient psychique, en et hors de l’hôpital. Un vrai défi social, de l’identité de l’individu.
Considérant encore que la santé mentale est partie intégrante de la santé sociale, il est intéressant de noter qu’on admette ainsi une problématique sociale au sein de la santé mentale.
Et, dans le « frottement social », derrière la disqualification de l’individu, psychiatrisé ou non, il s’avère nécessaire de modifier aussi le regard social. Et de préserver dans ce sens l’expression de tous ses artisans.
Autour de sens, dignité, autonomie participative
Sens et dignité
Dans sa quête du sens, le philosophe nous indique déjà quelle voie celui-ci emprunte afin qu’on le saisisse, le langage. Le sens, par ce que je sais, est ce que je sais. Un sens qui n’a de mot est aussi un sens, imperceptible. Intuition et savoir le cernent, me le rendent sensible. Le langage parfois peine à le communiquer. Sens avéré et sens privé jouent leur rôle dans la relation. En société, si le rapport est à la lutte de pouvoir, le langage tenu sera soumis à la critique du bon sens et du non-sens. Un principe d’exclusion et de dénégation qui est la porte ouverte à la prise de pouvoir. Jeu difficile à l’accession au respect. Mais le sens a d’abord cette qualité vraie, cette valeur de la chose. Il se soumet à la comparaison (dont le corollaire est de ne pas être raison), il est rapporté à des échelles, de crédibilité, de différence, de densité. Échelles de raison, devoir, dont il se passerait bien. Sa raison d’être, une et indivisible, coexiste avec d’autres, à l’image de l’homme, de sa raison de vivre et de son sens de la vie.
Le pouvoir, le devoir, mais aussi la volonté, prennent sens dans la perspective du respect de l’homme et de sa dignité, vers ces droits de l’homme en la justice, l’égalité et la liberté. Gardienne du système et de la politique de ces instances, la démocratie en oblige constamment la révision.
Le sens vient flirter avec la liberté. Croire est une liberté où le sens glisse vers la conviction, vers un inébranlable savoir où se puise le sens de l’existence (?). Aussi de croire que tout va bien au mépris de tout ce que les gens disent n’est-il pas déjà l’amorce d’un certain sens du bonheur. L’espoir niché au profond de chacun ne donne-t-il pas un sens à la vie. La faculté de trouver une utilité à ce qui arrive, c’est donner du sens au bonheur. Le sens répond à l’utilité, ce qu’on fait des choses, non ce qu’elles sont. Un bémol pour la propriété. Un sens encore qui ne sera jamais qu’incertain, celui de la liberté d’expression. Le langage, contraint à l’exercice des structures apprises, ne se libère et ne prend sens que derrière son ajustement à la pensée dominante.
Si la perte du sens est maintenant engagée, penchons-nous sur les noirceurs de l’âme, tirons du sens de la mélancolie, cet antagoniste naturel du bonheur. Shakespeare et les romantiques ont déjà formulé leur théorie du malheur (leur sens du tragique…), théorie du bonheur du désespoir. Aujourd’hui, la théorie du malheur et du mal-être réside plus simplement dans l’adéquation de l’individu à des schémas et des tableaux cliniques, que d’habiles intellectuels statisticiens on mis en place pour avoir une meilleure vision du monde, dans laquelle ceux qui sont malheureux sont malheureux et n’ont qu’à se plier à l’identité qu’on leur assigne. Partager du sens, un espoir et une volonté, ne se fait pas sur le discrédit jeté à la face de l’autre, le fou, l’enfer de Sartre. Sans compter ce que cachent les néologismes et les abus de pouvoir d’un langage hermétique.
Ce qui était vrai avant ne l’est plus forcément maintenant, le temps change le sens, le temps d’une réflexion. L’homme s’inscrit dans le temps et dans une géographie, sa présence, son intégrité physique et psychique, est entière, quels que soient le lieu et le moment. Au-delà de soi, la confrontation du moment commence avec le lieu, amène une volonté de l’appréhender, un sentiment de sécurité, et une assurance accrue. La vie de l’homme peut être vue comme un trajet dans une géographie, dans une maille de la réalité, ou plus encore dans des structures. Une sorte de curriculum vitae. L’âme forme aussi un trajet dans l’espace, le temps, et la pensée, mais les structures qu’elle traverse, ses mouvements, sont encore bien nébuleux pour la compréhension de l’homme. Je crains, au nom d’une liberté qui garde son sens, que l’on traque le sens de la vie des gens dans leurs trajets au sein de leurs structures, et que d’habiles intellectuels statisticiens ne formulent encore de nouveaux schémas de conformité que de nombreux paramètres incontrôlables ne manqueront pas d’infirmer. La liberté et le bonheur ne se réduisent pas à remplir un blanc, une place que l’on s’approprie. Si la réalité recouvrait celle du sentiment, de la raison et de la pensée, peut-être que la traque donnerait des résultats, mais heureusement ces trois phénomènes restent dans le domaine de la subjectivité. La réalité ne peut être qu’un regard, elle doit être un engagement, un rapport physique où se lisent la production et la création, ce concret où nous sommes tous attachés. L’évolution et le développement personnel y trouvent ce sens qui nous importe à tous. Agir, sans le sens dévoyé du travail, créer, œuvrer, sont les moyens d’une vraie dignité, d’une identité avec une réalité qui assume notre part de responsabilité. Encore faut-il toutes les structures nécessaires, et travailler ainsi à la disparition de toutes les exclusions.
Dans le dédale d’une vie et de sa réalité, la philosophie nous prête le bras, à l’image d’une religion, pour nous sauver du mal de vivre et de la peur de la mort. Interroger le sens de la vie, le sens de toute chose, afin de ne jamais laisser l’esprit en paix, le garder en mouvement, puisque la vie est ce mouvement. La vie est la jouissance du bonheur et son respect. La dignité est le regard porté sur elle, et seule la mise en jeu du respect lui permet d’être. Respect de la vie, respect de la dignité. Un réalisme oublieux, où certains ont donné leurs vies. Ne plus se poser de questions, ne plus faire de philosophie. Goûter au repos de l’âme, à la sérénité. C’est juste une question de temps…
Normes et réalités
La réalité que l’on pratique, en deçà du langage, nous assure déjà d’être vivant, mais pour respecter cela il a fallu inventer un mot, dignité. Le langage est devenu une assurance, bien que virtuelle, sur la légitimité des choses. Les actes sont porteurs de sens, mais on s’imagine pouvoir gagner de la dignité, de la légitimité, au travers du discours. On est plus intellectuel par le discours, pas plus vivant. Le respect de la vie, cependant, est aussi dans celui des codes qui nous échappent. Un sort étrange peut être aussi jeté sur la réalité : la raison, autant dire la justesse, a la capacité de l’ignorer, en tout ou partie, et ceci en sauvegarde de l’intégrité de la pensée.
Les processus psychologiques sont une grande part de l’identité, et sont le pain quotidien
des travailleurs sociaux, habilités à travailler le sens de la dignité de chacun. Confrontés à de doubles identités, par exemple le patient psychiatrique et l’être social, toutes leurs forces conduiront à réédifier le respect, de soi et de la part d’autrui, et finalement à relativiser l’identité en une simple étiquette, où la vraie dignité est alors de donner son propre sens à l’étiquette, voire de l’enlever ou d’en changer. Mais que croire alors de l’être humain si les qualificatifs sont inefficaces…
La recherche en santé sociale, en santé mentale, au travers de l’élaboration de schémas des processus séquentiels de vie, poursuit un idéal de contrôle du mal-être et de ses victimes. La politique qui dirige ce contrôle se devrait d’être prudente, et de bien considérer si le bonheur n’est pas ce qui échappe au contrôle, au sens et à l’analyse. Dans notre société où le bonheur n’est pas la norme (…), il est heureux de voir encore que la déviance ne met pas en péril une capacité au bonheur. La maladie est ma norme, je la respecte ou pas, c’est mon for, mon jugement, mon libre arbitre, et nul ne peut nier cette liberté individuelle. Toutes les normes et leurs corollaires de disqualifications ne font que croître les résistances. À l’appui, le développement de réseaux (associatifs essentiellement), où le bien-être, le bonheur, la qualité de vie, gagnent une définition respectueuse de l’individu, unique et non standardisable. Répondre à la pression de la norme sociale, revendiquer la différence, c’est redéfinir encore le bien-être, celui surtout peut-être qu’on veut nous donner en dragées, conditionnées par des sociétés multinationales. Le partage reprend des formes non normées, des moyens dont la liberté est garantie par la démocratie.
L’autonomie participative est un concept intéressant. Il convient d’y distinguer l’autonomie et la participation. Pour l’autonomie, trois niveaux se dessinent : autonomie de l’individu, autonomie d’un groupe, autonomie d’une société. Réduire la fracture de l’identité du fou humain semble déjà essentiel à son autonomie sociale, et elle paraît déjà largement acquise. Pour ceux qui restent encore sur le carreau, l’usage de groupes autonomes répondant à leurs aspirations d’indépendance peut concrétiser leur autonomie propre et leur indispensable visibilité sociale. L’autonomie de la société, enfin, se détermine sur sa politique. La vision serait bien sûr faussée si l’on n’admettait pas encore des interventions sur ces trois niveaux. Participer est déjà mettre en commun des moyens, des intérêts et des bénéfices, ceci impliquant une gestion collective qui sort du cadre de l’autonomie stricte et la rend interdépendante d’autres différentes forces. Le gain d’une vie, le gain d’un concret acceptable, passent au langage, au partage intellectuel, à cette interdépendance collective où le fruit de l’expérience, le langage, est cueilli. Au-delà de l’autonomie, c’est le langage qui démontre la participation.
L’autonomie participative est un concept séduisant, néanmoins il comprend sa propre négation. L’autonomie est un système isolé, et la participation implique d’être un rouage d’un système plus important. Pour une autonomie participative individuelle, je propose le mot de socialisation, dont on sait que l’on peut en changer comme un comédien change de rôle. Une sauvegarde pour ne pas figer l’humanité en mouvement. L’autonomie et la solitude qui l’accompagne constituent la première hypothèse qui peut conduire à l’idéal. D’autres hypothèses viendront, j’en suis sûr, corréler par leur bon sens la définition, toujours mouvante, de l’idéal. La réflexion peut enfin suivre ce phénomène, cette socialisation, en se demandant quels vrais moyens lui donner pour exercer sa fonction.
L’expérience s’acquiert par l’usage de la réalité, des outils pour la travailler. Travailler l’humain, traquer sa vie et son âme, ne peut apporter ce bénéfice social tant attendu. Les structures de la connaissance et du langage rentrent bien certainement dans la classe des outils du réel, et chacun a ses mots que tous devraient pouvoir entendre. Écrire le mot liberté ne suffit pas à la cerner, sa traque, son analyse, toujours échoue. La contraindre dans les processus de vie (dans le bien-être ou le mal-être) est un défi bien téméraire. Un graphique statistique ne nous permettra jamais que de considérer la différence qui nous sépare de la norme, de travailler la distance, celle-là même qu’il y a entre les hommes. Tous différents. Dans la statistique, conduite par le péquin lambda, l’utilité des concepts brillant que l’on tente d’en tirer, se révèle bien souvent pauvre d’enseignement pratique. Le frottement à la réalité du jour, de la rencontre, porte certainement en lui la réponse aux vraies questions. Que dire encore de la représentativité d’un échantillonnage, si ceux qui refusent de se soumettre au sondage agissent en fonction de convictions politiques, si il y a des falsificateurs, ou simplement de l’inattention. Et tous ceux qui ne sont pas consultés ? La marge d’erreur seule suffit alors à infirmer tout concept.
Et l’humain serait-il un dé à jouer ?
Les moyens de la santé
En santé sociale, il convient de limiter l’intervention de la médecine : ainsi, la médecine somatique ne s’occupe que peu de problématiques sociales ; au contraire, la psychiatrie est au cœur de multiples problématiques sociales, liées à la définition de l’identité (quelle place dans quelle société, dépendante de l’identité).
En santé, il conviendrait d’impliquer toutes les disciplines académiques qui s’en sentent concernées, et de réduire les querelles d’autorités.
En santé mentale, on perçoit le partage de compétences entre la psychiatrie et ses alternatives non médicales (ISO et non-ISO…)
En santé sociale, il devient urgent de bien définir quels sont les intervenants à sa mise en œuvre.
Le bien-être et le bonheur sont au programme de la santé sociale et de la santé mentale. Le mal-être est sous contrôle, chaque tranche de vie fera l’objet d’un rapport. Le bonheur est dans l’avenir radieux. La liberté se laisse faire, elle livre le secret intime de ses actes. Quelques réfractaires manifestent. La tutelle des intellectuels est devenue inutile, ils nous ont appris à vivre, leur rôle est achevé. Les gens de peu ne parlent plus de l’art de vivre. Le monopole du savoir-vivre distribue ses dragées. La police est le siège du bon sens. Elle parle seule parfois. Le modèle hiérarchique est devenu la source du développement mental. Le développement personnel est un hobby bien toléré.
La situation actuelle est loin de cette perspective, mais il reste, en santé sociale, beaucoup à faire, à la fois dans les domaines économique, structurel, humain et de la culture. Du côté de l’économie, on voit que toutes les solutions de psychiatrie, par exemple, ont existé, mais qu’elles n’ont pu s’appliquer faute de moyens. Pour le reste, je le laisse à votre entente.
La psychiatrie ne saurait faire l’économie du don d’un point de vue sur le sens de la vie.
La philosophie peut sauver du monde. Une quête qui, par fraction, donne du sens à la vie, réconforte le peu de bonheur qui nous reste, engage le combat de notre dignité.
L’être encadré dans ses structures et ses séquences de vie, doit pouvoir les partager, y réfléchir, à sa mesure, derrière des outils d’analyse tenus à sa disposition. Dans le sens commun il partagera son sens, s’orientera, modifiera son trajet et ses structures. Mais si et seulement si l’outil d’analyse du trajet, des structures, et des sentiments, est employé de manière subjective. Une étude objective ne changerait pas l’état des choses. C’est subjectivement que j’ai pu formuler la structure nouvelle qu’est l’association L’Expérience.
Une autonomie assistée, ce peut être, par exemple, pour un homme avec un trouble bipolaire, de trouver les moyens nécessaires à diriger son hypostimulation si l’humeur « monte ».
Malgré les cloisonnements, l’autonomie de la santé mentale au sein de la santé sociale, et au sein de la société même, n’a pas de sens, le regard est transversal, le fou n’est plus que très rarement enfermé à vie en asile. La fracture des identités de lieux et de statuts doit être réduite et l’on se doit d’assurer l’expression du point de vue de tous.
Conclusion
En guise de conclusion, puisqu’il en faut une, je m’arrêterai sur l’espoir entrevu en psychiatrie sociale et, plus généralement, en santé sociale ces derniers mois. Le social est le mode de la relation humaine. Chacun participe, le pouvoir se partage. C’est le projet social, caché en la santé sociale, qui est important. Le double mouvement de la communication. Le pouvoir de l’État, le pouvoir de chacun, partagés. Étudier le bien-être, la qualité de la vie, concevoir l’observation de l’individu dans son trajet de vie, au sein de structures (tout est structure), dans son sentiment, ouvre la perspective formidable d’une société meilleure. Mais les plaies sont encore là. La maladie, la psychiatrie, l’asile, sont encore là. Identité trahie, le trajet en psychiatrie est mal vécu. Le social en psychiatrie est trahi. On pourrait certes comprendre la privation de liberté à des fins d’assistance, mais il reste inadmissible de violer les droits de la personne par des traitements forcés et par l’irrespect du consentement éclairé. Pour ce dernier, si de nombreuses études donnent aux malades mentaux une bonne intelligence et une grande créativité, pourquoi les psychiatres ne les utilisent-ils pas dans le sens d’une meilleure compréhension, d’une meilleure compliance, et d’un meilleur résultat thérapeutique et social ? Cependant, une gestion clairvoyante du droit des patients, droits de l’homme, se fait jour, vers un véritable respect de la dignité de la personne. La psychiatrie sociale devient une société en plus petit, où il sera loisible de faire des activités, des stages, des cours, etc. L’espoir est là, dans ce creuset, où s’admet enfin la dimension sociale de la psychiatrie et surtout celle du patient. Et la santé sociale y gagne une cohérence avec une vraie politique sociale respectueuse du droit citoyen.
Jean-Marc Allaman / Janvier 2001 / Ce texte n’est bien entendu qu’une base à raturer (ndlr)