Association en santé mentale

Association en santé mentale

En 1999, à Genève, des souffrants psychiques et des amis ont créé une structure associative, L’Expérience, faisant usage des droits citoyens d’association et de liberté d’expression. Si L’Expérience s’appelle ainsi, c’est parce qu’aucun des trois fondateurs ne savait si l’association allait durer, il fallait en faire l’essai, l’expérience. L’association L’Expérience est donc l’expérience d’une association.

Etant un des fondateurs, je me souviens avoir partagé pendant plusieurs mois, dans le restaurant de l’Arcade 84 où je mangeais deux à trois fois par semaine, l’idée d’une association en santé mentale, et j’écrivais un texte que je ramenais à chaque fois pour approbation aux connaissances que j’avais là. C’est ainsi plus d’une centaine de personnes qui ont co-écrit le texte fondateur de L’Expérience. La démarche était singulière, de longue haleine, participative.

L’association en santé mentale

L’association en santé mentale est l’objet de ce texte, où deux regards s’entrecroisent à refaire le monde de la santé mentale, celui du professionnel en psychosociologie, et celui du souffrant psychique, tous deux engagés dans le travail de terrain, dans les pratiques issues de la psychosociologie, telles la psychoéducation ou la psychopédagogie.

Prise dans le champ des sciences humaines, l’association en santé mentale est essentiellement faite de relations humaines.

L’association en santé mentale, c’est :

  • des qualités psychologiques, dans le lien d’association entre les individus,
  • une sociologie de groupe, de collectif,
  • des compétences qui ont valeur d’échange entre les personnes.

Les qualités sont l’écoute et l’empathie, le non-jugement, le respect de l’autodétermination de soi et de l’autre, la chaleur humaine, et toutes constituent une sensibilité particulière, un gage d’adhésion à des valeurs humaines, un humanisme.

La sociologie du groupe (pourrait-on dire des pairs, ou d’une équipe, ou d’une « famille ») est composée de trois éléments : le groupe qui forme l’association, les liens sociaux qui s’y tissent, et le fonctionnement (soutenu par des structures).

Le groupe de pairs, ou l’association, par l’interaction entre les gestions individuelles et la gestion commune, peut vouloir, et ce serait son but, être un vecteur de soin (en santé mentale).

Dans les liens sociaux, en plus des possibilités de rencontres amicales et de l’entraide, ou de l’aide, entre pairs, on trouve toute une gamme d’habiletés sociales, individuelles ou collectives, tels des aspects de motivation, d’émulation, d’engagement, à côté d’autres traits psychologiques et de santé psychique. On trouve également des habiletés comme la gestion du lien interpersonnel, la participation associative, la gestion d’atelier, l’échange autour d’une problématique dans un groupe de parole, la participation aux réunions, l’expression de son opinion, la prise en exemple de problèmes réglés ensemble, la participation à des projets communs (exposition, forum, journal, site internet, etc.), la participation à la défense de ses droits.

Pour le fonctionnement, et les structures, on voit que les statuts sont l’ossature principale de l’association, qui régissent la vie en son sein, en réglant les interactions entre les groupes, les réunions, et les assemblées, et portant inscription des buts poursuivis.

Dans une association en santé mentale, les compétences, qui sont tout simplement l’offre, ou les prestations de l’association, sont toutes liées à l’aide ou à l’entraide. L’association, les réunions ou les groupes sont les lieux de l’exercice de ces compétences. Il s’agit d’accueillir, d’informer, d’orienter, de se réunir, de gérer, d’organiser, d’administrer, de décider, de partager les compétences, de prendre exemple sur autrui. Il s’agit aussi de s’exprimer : échanger les histoires, le savoir (groupe de parole), ou créer (atelier artistique), ou militer pour les droits et la cause des souffrants psychiques (représentation).

La formalisation d’une association est nécessaire pour que se mette en place une appartenance, pour que l’initiation et le développement de projets, ainsi que leur réalisation, soient promus. Une voix et un discours cohérents et légitimés peuvent se développer.

L’expression

Dans les associations en santé mentale autogérées de souffrants psychiques aujourd’hui à Genève, on trouve ces formes d’expression que sont les témoignages, les images peintes, ou encore la lutte militante. Toutes sont empreintes de sensibilité, toutes passent par la mémoire et par l’art.

Lorsque la souffrance trouve à s’exprimer, dans les arts ou dans la parole, des œuvres avec leurs sens sont mises au jour, et l’artiste, par son observation, ou aidé dans son observation, peut peut-être, au travers de son œuvre, revivre un trauma passé, et dans sa prise de conscience, l’accepter et trouver le chemin de la résilience.

Les expressions sensibles de la souffrance, témoignages, images peintes, ou lutte militante, changent les choses, font évoluer l’artiste, et font évoluer la société, aussi par l’exposition publique qui fait des œuvres des objets culturels, d’usage plus facile.

Ces changements nous importent, ils sont révélateurs, ils sont réparateurs.

L’expression des souffrants psychiques, et de ceux qui les soutiennent, amène à la société un questionnement et une réflexion toujours renouvelés sur l’intégration sociale de la différence.

Ainsi au service de la société, le mouvement des souffrants psychiques est d’utilité publique.

Les demandes des souffrants psychiques sont spécifiques de leur condition, y compris les revendications de droits liés à leur cause, c’est donc eux qui peuvent les énoncer et les exprimer légitimement.

Quant à l’initiative usagère, elle pourrait être mieux soutenue, par tous ceux qui le peuvent.

Et si les professionnels du psychosocial éprouvent des difficultés à passer du pouvoir à leurs usagers (empowerment / habilitation), peut-être cette mission pourrait-elle être remplie par des professionnels en santé mentale ayant l’expérience du trouble psychique, je veux parler des pairs-praticiens en santé mentale.

Modèle social

L’association en santé mentale est une des mailles du filet social institutionnel et associatif local, c’est une petite unité.

Le monde de la santé mentale a besoin de multiples ressources pour exister.
Les politiques et les financeurs forment la première ligne de soutien.
Les psychothérapeutes et leurs pharmacopées assistent le patient au long de sa maladie. Les professionnels du psychosocial interviennent pour tout le processus d’intégration sociale.
Et à son niveau social, on trouve l’association en santé mentale, les lieux de l’expression et de la culture des souffrants psychiques, les groupes de parole, les ateliers artistiques, qui luttent contre l’isolement et le désœuvrement, qui permettent d’avoir de l’exercice pratique, de regagner un statut d’actif, d’être co-décisionnaire.
L’association en santé mentale induit des implications de soi, et des effets pour soi bien réels, un peu de responsabilité retrouvée.

Au travers de l’association en santé mentale, le modèle social proposé repose sur :

  • l’association comme unité de base
  • une action d’aide ou d’entraide
  • la gouvernance participative, ou autogestion

Le phénomène association peut offrir une stabilité sociale.

Sa prévention tertiaire est formée du lien social et de l’activité d’atelier ou du groupe de parole. Les rechutes de maladie psychique sont moins nombreuses.

Le groupe entretient l’espoir du rétablissement.

La gouvernance participative, ou autrement dit l’autogestion, et l’autonomie acquise redonnent à la personne des compétences d’auto-organisation, dans son administration personnelle ou dans ses projets créatifs.

L’association, les projets communs entretiennent la solidarité.

La création d’associations en santé mentale

Les associations autogérées genevoises de souffrants psychiques sont toutes des associations en santé mentale.

Chacune d’entre elles contribue à la visibilité d’une culture associative, au service de la santé mentale.

Toutes, elles engagent la déstigmatisation des souffrants psychiques, et leur intégration sociale. Elles offrent du lien social et des activités, dans la solidarité et le partage.

Leur exemple montre bien que l’entraide sous la forme associative est pertinente, et que pour développer cette entraide, il conviendrait de promouvoir la création d’associations du type association en santé mentale.

Merci


Jean-Marc Allaman / 29 juin 2019